Sud-Ouest du 8 janvier 2010 - Exposition au Liburnia
Conversation sur la toile
Le dit et le non-dit. Avec l'exposition baptisée "Conversation", la peintre Myriam Schreiber a tenté de relever le difficile pari de traduire en peinture la parole, celle qui s'échange et celle qui se retient. "Dans ce lieu de théâtre, la Direction du Liburnia m'a proposé de réaliser quelque chose de cohérent avec les spectacles à l'affiche en janvier, explique l'artiste libournaise.
Je me suis ainsi plus ou moins imprégnée de l'histoire de "l'atelier d'écriture", la comédie de David Lodge, et du "Journal à quatre mains" de Benoîte et Flora Groult. Des pièces qui tournent autour de ce que les gens ont à se dire ou n'arrivent pas à se dire, par la parole et l'écrit. Des thèmes qui correspondent bien à mes inspirations."
Sur les murs du hall d'entrée et du bar du théâtre, se dévoilent 18 toiles de toutes tailles, étalées, hautes, ramassées. Certaines ont été faites pour l'occasion, d'autres attendaient déjà dans l'atelier de l'artiste pour être exposées. Myriam Schreiber reconnaît entretenir un rapport compliqué avec la parole. "Je peins aussi parce que je ne sais pas "dire", glisse-t-elle. Dans mes oeuvres, on trouve ce que moi même je ne dis pas, la parole retenue." Discrète derrière se lunettes qui lui mangent le visage, un peu timide, la langue se délie peu à peu quand il s'agit de décortiquer la genèse d'un tableau.
Il y a 8 ans, lors de la réalisation d'un de ses tableaux, "Où vont les échos?", un papier kraft protégeant le sol a pris par transparence l'empreinte de la toile. Conservé, ce "tampon" sert aujourd'hui de toile de fond à "Echos d'échos". Dessus, viennent se superposer des visages, des bouts de tissu et surtout des fragments de texte collés:
"Ce ne sont pas des écrits anodins puisqu'il s'agit des mots d'une femme qui a perdu l'usage de la parole et écrit pour continuer à parler."
Modéliste à Paris
L'artiste est aussi modéliste à la ville, son "gagne-pain parisien".
Elle travaille dans un atelier de prêt-à-porter haut de gamme de la capitale, où elle réalise les modèles de grands couturiers sur un mannequin en bois à l'aide d'une "toile à patrons". Un métier qui pénètre son univers d'artiste puisque ses peintures, Myriam Schreiber les réalise justement sur cette même toile de coton. "J'aime bien détourner l'usage des matériaux", dit-elle.
Dans sa façon de procéder, elle commence par jouer la fourmi en accumulant toutes sortes d'éléments - du tissu, des vieux journaux, du carton, les fameux tampons - puis elle les "lâche" sur la toile. Elle avoue réfléchir plus au moment de sa petite "récolte" que lors de la réalisation elle-même. "Pendant que je peins, je privilégie la spontanéité. Après coup, le résultat parfois ne me plaît pas et je transforme".
"Le journal de bla-bla" a été ainsi refait plusieurs fois : une partie a été déchirée, un bout d'une oeuvre antérieure recollée. Car Myriam est ainsi. Elle peint, encre, enlève, gratte, recolle, tamponne et retamponne.
Brouhaha silencieux
Partout, sur ses 18 tableaux, des visages qui se répondent, s'opposent, dans un brouhaha silencieux. Comme dans "Mots dits", la pièce maîtresse de l'exposition, où se mêlent huile, gouache,tampons et morceaux de vieux "Libé", des corps allongés et des visages se découpent dans un effet de miroir. Des maudits de la parole qui tentent malgré tout de communiquer.
Au Liburnia, on peut également découvrir une sculpture, en terre cuite, d'un couple qui s'enlace. Car Myriam sculpte aussi, des bronzes essentiellement : "une démarche proche de mon métier de modéliste". Un travail que l'on peut découvrir à la galerie libournaise de Christian Servant, Le Passeur d'Art, rue Fonneuve.
Vernissage ce soir, à 18h30, au Liburnia, 14 rue Donnet. Tel 05 57 74 13 14.
Exposition jusqu'au 29 janvier, aux heures d'ouverture du théâtre.
Les oeuvres de Myriam Schreiber sont aussi à découvrir à la galerie Le Passeur d'Art, 62 rue Fonneuve.
Site www.myriamschreiber.com
Guillemette Echalier
Photo Stéphane Klein (Myriam Schreiber devant le grand format "Mots dits")